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| J'ai besoin de peindre. Au plus vite. Mon corps m'attire involontairement vers une de mes grandes toiles vides, blanches, comme de la neige, comme une guimauve avant d'être brûlée, comme un papier mouchoir, les jetables, bien sûr. J'ai besoin de peindre. Je ne sais pas pourquoi. Peut-être parce que je n'en ai pas eu la chance ces derniers jours. Il y avait toujours quelque chose qui m'interrompais dans mes démarches pour réaliser une œuvre purement pour le plaisir. Des élèves aux demandes diverses, des collègues aux demandes diverses, des supérieurs aux demandes diverses, j'en passe. Toutes ces demandes, je dois les finaliser même chez moi. Quand j'ai terminé, c'est l'heure d'aller dormir. Il était si facile, avant, d'être une professeure dans cette académie. Ils ont constaté mon ancienneté, alors ils se sont dits: « Tiens, nous allons lui demander tous les trucs les plus inimaginables, parce qu'elle est devenue une habituée ici, donc, elle saura prendre le temps de nous répondre ».
Rah. Ce que ça peut me rendre maussade. S'ils me donnent une tâche de plus, je crois que je ferai une crise de panique. Pas trop grande, mais je serai dans l'incapacité de faire ce qu'ils m'ont demandé. Je serai disparue pendant quatre jours. Je retournerai en Australie, je visiterai mes parents, je leur parlerai de la rentrée à Yuukou, de mes problèmes, de mes réussites. Je dormirai dans ma chambre qu'ils n'ont pas encore osé modifier. Ils sont tellement gentils, mes parents. Puis, je repartirai à Yuukou et je recommencerai mes cours. Mais pour l'instant, je n'ai pas besoin de tout faire cela. Pour l'instant, je n'ai simplement besoin que de peindre. Ne serait-ce qu'un coin de ma grande toile qui fait exactement 162 cm x 114 cm. Cela va m'aider à me calmer. Je n'aime pas qu'on me demande tout plein de choses sans me laisser le temps de peindre.
Enfin. Plus personne n'est dans la salle. J'ai le champ libre. Quelle belle expression. Cela m'a pris du temps avant de l'assimiler, mais maintenant, je l'utilise beaucoup quand je le peux. J'ai le champ libre. Rouleau à peinture dans la main gauche, je m'approche vers cette toile de 162 cm x 114 cm qui est accotée sur le mur du fond de la classe. Je la ramène vers l'entrée, car c'est là où se trouve mon chevalet habituel et ma chaise de professeure, celle que j'utilise presque jamais, sauf pour aider un de mes élève qui réalise une petite peinture. Je la dépose et je commence. Je n'ai aucune idée précise en tête. Je ne fais que commencer. J'ouvre le gros pot de peinture, préparé par moi-même, qui jonche à mes pieds. La couleur est bleue. Bleu de Berlin. J'aime la couleur. Elle est gentille. Non. Jolie. Oui. C'est le bon mot. Je l'étends sur toute ma toile. Je termine de la remplir. Je n'attends pas qu'elle sèche, oh non. J'ai pris de la peinture acrylique, donc elle va sécher rapidement. Je prends un de mes plus gros pinceaux, je le trempe dans du rose préalablement mélangé et j'en mets partout. Des traces. Des fines et des épaisses. Je rajoute du vert. Puis du jaune. Je ne m'arrête pas. Je suis concentrée dans mes gestes. Quiconque viendrait me déranger, je ne l'entendrais pas arriver…En fait, je me suis trompée. J'entends un bruit. J'arrête tout mouvement et je me retourne subitement. Qu'est-ce qui a interrompu mon élan? |
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